La Ménagerie de Vineuil du XVIIème au XXIème siècle

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Depuis l’antiquité, les animaux sauvages ont exercé un grand attrait sur les hommes. Puis du temps des Romains, nous pouvons voir par exemple sur les mosaïques de Piazza Armerina en Sicile, la capture de tout un bestiaire en Asie ou en Afrique ainsi que son transfert par bateau vers l’Italie. Au Moyen-Age, certains seigneurs aimaient avoir près d’eux des bêtes féroces ou exotiques.

Une première Ménagerie de Chantilly avait été installée du temps du Connétable Anne de Montmorency  (après 1551) dans un bâtiment appelé ferme de Bucan, qui se trouvait face au Château à l’emplacement de la route qui, de nos jours, monte vers la Porte Saint Denis. Elle contenait une collection remarquable d’animaux rares : chevaux Turcs, perroquets, faucons, gerfauts, hérons, oiseaux de Barbarie, jaguars, augmentée au fil du temps de beaucoup d’animaux : cygnes, cigognes, corneilles, buffles, cerfs, pélican.

En 1659, le Grand Condé fut exilé par Louis XIV à Chantilly. Faisant appel à André Le Nôtre pour dessiner jardins et pièces d’eau et transformer les alentours du Château, M. le Prince décida d’installer sa Ménagerie de l’autre côté du Grand Canal, dans une ferme située dans le vallon qui borde à l’ouest le village de Vineuil. L’aspect de ce vallon était très différent de son aspect actuel, car il y avait peu d’arbres.

C’est en 1677 que les travaux de la nouvelle Ménagerie commencèrent. Il s’agissait aussi de rivaliser avec la Ménagerie de Versailles construite entre 1663 et 1670. La part prise par Le Nôtre dans la conception et la composition de celle-ci reste difficile à déterminer, mais on sait que son influence fut prépondérante à l’époque tant dans la structure du paysage que dans le dessin et le détail de toutes les avenues et perspectives du domaine de Chantilly.

L’emplacement de la nouvelle Ménagerie fut aménagé comme un grand parc à la Française (cf. Planche 2, 3 et 4. Plans de Vineuil et de la Ménagerie). Ce terrain étant en pente, on édifia d’abord une grande terrasse bordée par un mur de soutènement en pierre de taille parallèlement au Canal.

La partie inférieure de ce parc avait surtout une fonction d’apparat ; on y construisit un bâtiment en forme de U et deux grands bassins : le bassin de la Colonne (n°9) orné d’une colonne romaine en porphyre provenant probablement de vestiges romains de Senlis, et le bassin de Narcisse, décoré d’une statue de Narcisse se mirant dans l’eau. Le bassin de Narcisse  était alimenté par une source naturelle dans laquelle les habitants de Vineuil sont allés puiser de l’eau jusqu’en 1945 (cf. n°10 de la planche et le n° du jeu de Cavagnole). Les projets de ce bâtiment et du bassin de Narcisse pour la « Ménagerie de Vigneul » nous sont connus par deux gravures de Pérelle.

Dans la partie supérieure, se découvrait un jardin avec des parterres autour d’un grand et d’un petit bassin ; ces deux bassins appelés le Pot de terre et le Pot de fer comme le titre d’une célèbre fable de La Fontaine. Tout autour, se trouvaient des cours séparant les diverses espèces d’animaux ; à chacune de ces cours était associé le nom d’une fable de La Fontaine.

Cour des pigeons (30) :   le Renard et les Poulets d’Inde
Cour des paons (28)) :  les deux Coqs
Cour des cigognes (32) :  Le loup et la Chèvre
Cour des outardes (33) : le Geai paré des Plumes du Paon
Cour des aigles et des vautours (34) :  le Vautour et les Pigeons

Dans chacune de ces cours, tous les animaux de la fable de La Fontaine étaient représentés en plomb coloré dans une niche de rocaille.

Dans la partie haute de la Ménagerie se trouvaient des poules et grues sur un terrain appelé la Longuignole (n°24), le clos des cerfs et la Nouvelle Vacherie(25) ainsi que la Faisanderie (26), les moutons du Pérou (26) et les bouquetins, les cerfs de Siam (au n°28) et une volière (n°29).

La Ménagerie de Vineuil fut inaugurée en août 1688.

Pour aller du Château à la Ménagerie, but essentiellement de promenades, il fallait traverser le grand Canal en gondoles ou passer sur le pont, monter la pelouse de la Demi-Lune (plus tard aussi nommée le Petit Vertugadin) en haut de laquelle se trouvait une statue de Neptune (n°37 de la planche).
On accédait à la Ménagerie par une porte appelée Grille des Princes (n°36) donnant sur la partie haute.

Ayant longé la terrasse et les parterres du jardin par l’allée des Princes, on arrivait par un escalier (qui existe toujours) à la partie basse de la Ménagerie où se trouvaient :
. le canal des canards (n° 13)
. les mouflons et cabrioles (n° 14)
. un pavillon appelé pavillon du buste (n°15)
. des taureaux sauvages et plus tard des cerfs et des biches (n°19)
. un potager plus tard transformé en parterre de fleurs (n° 20)
. un bâtiment pour les bêtes féroces (n° 21)
. un enclos pour les sangliers transformé plus tard en volière pour les faisans de Chine

En revenant le long du canal, on trouvait le bâtiment en forme de U, fort simple vu de l’extérieur. L’aile droite (n°8) appelée Palais d’Isis, tenait son nom de la mythologie égyptienne, préconisé par Jean Racine consulté par le Grand Condé. En fait, la décoration intérieure de cette partie du bâtiment s’inspirant de l’art Egyptien était centrée sur l’histoire du Bœuf Apis.

L’aile gauche du bâtiment en U était une laiterie, d’aspect simple extérieurement. Cette Laiterie (cf. planche Laiterie provenant de l’Album de Comte du Nord) contenait plusieurs salons considérés comme parmi les plus originaux et luxueux du royaume. Dans la pièce d’entrée, ou salon du Bouillon, se trouvaient des tableaux de Jean Cotelle inspirés par les fables de La Fontaine : La lionne et l’ourse, La grenouille et le bœuf, lLe loup déguisé en berger, Le lièvre et les grenouilles, et  Le conseil des rats.  Les murs de la pièce ronde avec une coupole étaient revêtus de marbre blanc et son sol recouvert de marbres de plusieurs couleurs, tandis qu’au milieu était une table ronde en marbre rouge couverte de vases en porcelaine et de récipients pour battre le beurre.

Puis le Prince fit construire un bâtiment d’habitation à côté de la Laiterie, appelé « bâtiment neuf » ou « appartement des tableaux en raison de la soixantaine de tableaux de paysages qu’il contenait. Au devant, le prince fit tracer en 1708 un parterre irrégulier avec bassins qui fut appelé le « zig-zag de la ménagerie ». Après sa destruction totale en 1792, à la fin du XIXème siècle le comte Vigier, propriétaire à l’époque de ce lieu édifia sur ses soubassements une grande maison qui passa ensuite aux mains de la famille Oppenheim. Très endommagée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, cette maison fut à nouveau transformée dans les années 1950 par un promoteur en un « château de Vineuil », copropriété avec colonnes et terrasses qui lui donnent à présent une allure de villa palladienne.

Entre ce bâtiment et la Laiterie se trouvait un bassin entouré de marronniers que l’on peut voir sur la case 122 du jeu de Cavagnole.
Dans le mur de la terrasse se trouvait une grotte ( n°6) aussi visible sur la case 121 du jeu de Cavagnole. Cette fameuse Grotte très bien conservée, faisait partie du réseau de distribution d’eau de la Ménagerie. L’eau qui semblait jaillir de la grotte provenait en fait du réservoir de la pelouse de Chantilly ! et allait jusqu’au bassin de la Colonne, en desservant au passage les rigoles et bassins de la Ménagerie.

A l’extrémité gauche du mur de la terrasse, il y avait la voûte des Castors  (n°2) avec un bassin.  Sur la voûte des Castors, il y avait un belvédère, visible sur la case 79 du jeu de Cavagnole. Ce belvédère de la voûte des Castors est l’un des rares rescapés de la Ménagerie de Vineuil, l’un des moins connus, certes, mais figure tout de même dans l’inventaire des Monuments Historiques de notre village

Les Princes de Condé aimaient beaucoup faire visiter la Ménagerie à tous les grands personnages qu’ils recevaient : l’ambassadeur d’Angleterre, l’ambassadeur du Sultan, le roi de Suède ou… le Comte du Nord, futur tsar.

En 1786, à l’approche de temps plus difficiles, le Duc de Bourbon décida de créer un élevage de vaches dans les prés situés sur ce qui est devenu le practice et le golf dit de Chantilly actuel. Il fit construire un grand bâtiment de ferme qui existe toujours et que nous appelons aujourd’hui la Ferme de la Ménagerie (n° 25) .

L’époque de la Révolution signe la mort de la Ménagerie de Vineuil.menagerie-vineuil

Le Prince de Bourbon ayant quitté Chantilly, beaucoup d’animaux furent dispersés. En 1792, la Ménagerie fut confisquée. Il ne restait que quelques oiseaux, un tigre, un mouflon, un singe, sept cerfs de Corse, cinq biches, deux faons et un âne.

En août 1792 le bataillon des Marseillais, venu de Paris pour instaurer le régime révolutionnaire à Chantilly, après avoir fait fusiller quelques habitants, ouvrit le feu au canon, puis chargea à la baïonnette pour achever les animaux restants, piller et démolir les bâtiments.

Le territoire de la Ménagerie fut vendu le 28 mai 1800 à M. Damoye, investisseur parisien pour 186.330F.

Ce qu’il reste actuellement de la Ménagerie du 18e siècle ?

. les routes qui l’entouraient : rue de la Ménagerie, rue de St-Leu et rue de la Fontaine Narcisse.
. les deux petites maisons situées à l’entrée de la Faisanderie, actuellement à l’entrée du golf dit de Chantilly
. la grille des Princes
. la ferme de la Ménagerie de 1786
. la voûte des Castors
. une partie du grand mur de la terrasse avec sa grotte et son escalier
. la fontaine Narcisse, mais murée et pratiquement détruite
. la maison Narcisse, ancienne habitation du capitaine Christophe Thélinge, quand il était gouverneur de la Ménagerie de Vineuil

Texte adapté à partir de la monographie de M. Jean-René Dufort
Chantilly, Société des Amis du Musée de Chantilly, s.d..14 pages